Les colons français à la suite de leurs voisins allemands pensaient avoir brisé l’esprit indomptable des africains, et particulièrement du peuple bassar. Ils ont eu la désagréable surprise de constater que les fils et filles de la région n’avaient rien perdu de leur esprit rétif. Très tôt les indépendantistes trouveront un écho favorable auprès de la majorité du peuple. Très organisé autour de certaines grandes figures, le peuple bassar sera à la pointe de la lutte. Malgré tous les moyens de répression, le harcèlement et les mille tentatives pour diviser le peuple, le colon n’a pas réussi à entamer la détermination de Bassar. Nos pères, malgré leurs maigres ressources issues des activités agricoles, cotisaient avec discipline pour soutenir la lutte. Les fonds alors rassemblés étaient régulièrement convoyés à Lomé auprès de l’un des grands leaders indépendantistes, le célèbre Pa de Souza.

Alerté, le gouverneur de la région interdit le courrier. Pour contourner cette interdiction nos parents ont choisi un patriote, le nommé KISSA OUGAN qui, à pied, convoyait sans cesse les fonds de la lutte jusqu’à Mango où un correspondant en la personne du valeureux bassar ALI TCHONCHOKO (oukore npkene) s’en chargeait. Il était désigné pour faire parvenir la contribution au destinataire Pa de Souza à Lomé. Cette bravade et ce désintéressement de jadis doivent interpeler aujourd’hui les citoyens engagé dans la lutte de libération mais qui encore rechignent à s’acquitter des cotisations demandées.

Dans tous les quartiers et cantons de la région, des patriotes déterminés et convaincus se sont joints au mouvement et y ont pris une part active. Ainsi on peut citer :

A Wadande nous avons Tchedre Bikangni (Nadjombe Bouraima), à Nangbani, Sonhaye Akouma , Fare Ankloui; à Binaparba, Gbandi Koukou qui sera plus tard battu à mort en 66, Nakpane Banouktou ; à Bicotibe, Mamam Kassegma ; à Kpankissi l’ Amazone, une femme intrépide nommée Tchein Amina à Kodjodoupou ; à Bitchabe, Koupokpa Djawaye, Ouadja Kpatchine Wadan , Kougbeou Lantam ;Sans oublier Gnandi Tante a Biyakpabe; à Kabou , nous avons des noms comme Djato, wassao tchlare ismaila(oukpandoupou), Dikeni Aboulkkerim, Baba Toma Alassane dit Oumalkpan et père de Nabourema, vice président actuel de l’ANC , Tchaye Badji, encore vivant et malgré ses 82 ans, politiquement actif. Il est le président ANC de Kabou, Moumouni maman qui sera élu député CUT en 58 de Kabou, Anwou Rufai NANDJA( père du général Nandja ); a Guerin-Kouka il y avaient Djado,Oubote Wassaou.

La liste sera longue pour citer tous ces valeureux fils et filles du milieu qui, avec bravoure, ont tout donné, certains mêmes jusqu’ au prix de leur vie pour la patrie.

Ces moments de lutte pour l’indépendance constituent une période exaltante qui mérite une attention dévote. C’est un legs pour les générations futures.

En effet Bassar fut la région où l’identité de la nation togolaise prit forme. Les bassar n’étaient pas seuls, il y avait une Union sacrée des patriotes de plusieurs autres régions du pays vivant à Bassar ; en l’occurrence une forte communauté des gens dites du « sud » pour la plupart des commerçants et des fonctionnaires. Un brassage d’hommes et de femmes venus d’horizons divers et bénéficiant de la largesse de la population indigène reconfigure tout Bassar. Rattaché par le destin au moment de la lutte, unis dans la même foi – celle de libérer leur pays- ces vaillants togolais se sont battus pour la Patrie.

Rappelons que le Dr Trenou, messieurs Josué, koukou Mable, Gaba Laurent Quenum etc. ont constitué avec les hommes et les femmes du terroir le noyau dur du Comité de l’Unité Togolaise (CUT), le parti nationaliste.

Peu ou prou de togolais savent aujourd’hui que le Dr Trenou a été élu pour la première fois avec la liste du CUT bassar à la première Assemblée Territoriale (1946-1951) et siègera comme secrétaire général dans le bureau de cette assemblée présidée à l’époque par feu Sylvanus OLYMPIO, Fare Anklui, bassar lui aussi y figure. Le vieux Karbou originaire de Bafilo était aussi un des grands cadres et Trésorier adjoint du CUT. Le vieux Salami, père du syndicaliste Salami était quant à lui le trésorier.

Concitoyenneté assumée, fraternité exemplaire, loin des considérations ethnocentriques que le régime du RPT nous a pendant des décennies enfouies dans la tête. Pour le bassar d’alors, il est avéré que seules comptaient les compétences réelles ou présumées du candidat. N’est-ce pas là dans l’intérêt national l’exemple de ce que devrait être le comportement citoyen ?

Le combat de ces patriotes a contribué énormément à la victoire du parti nationaliste qui avait remporté tous les sièges, sauf à Guerin- kouka où le candidat progressiste avait remporté un seul siège. Même élu sur cette liste pro colon, Gbengbeni votera toujours à l’Assemblée pour le CUT jusqu’ à l’assassinat d’OLYMPIO. Il rallia ensuite EYADEMA. Dans un Guérin-Kouka affaibli par la répression coloniale et dominé par quelques élites pro françaises, contraint, Gbengbeni se présentera sur la liste des progressistes.

La lueur d’espoir et celle d’un avenir radieux pour notre pays, le Togo, ne tardera pas à s’estomper avec l´irruption sur la scène politique d’Eyadema, marionnette du colon français. Ce dictateur va remettre en cause les acquis de l’indépendance obtenue aux prix de sacrifices immenses par nos pères et nos mères.

Beaucoup de ces patriotes connaitront au lendemain de ce coup d’arrêt brutal soldé par l’assassinat de Sylvanus Olympio, la prison, les bastonnades, l’humiliation, l’exil et même la mort.

A Bassar ceux qui sont vus comme des héros à l’instar de Bikagni et Mablé seront sérieusement violentés.

Pour se venger des nationalistes qui avaient, en arrivant au pouvoir, voulu rétablir la justice en remettant au Natakab de Wandande le pouvoir de la chefferie traditionnelle qui leur revenait de droit, des représailles furent régulièrement organisées par des expéditions punitives et des arrestations. Le comble : l’assassinat de deux frères de Wadande, Djanta Sei (militaire nationaliste, revenu en vacances) et Issoufou Nikabou . Le commanditaire de ces assassinats serait le feu chef Kpamadji qui, entre temps, avait perdu le pouvoir avec la victoire des nationalistes.

Malgré la répression, le harcèlement, la discrimination dans l’administration, dans l’armée, le Bassar n’a jamais courbé l’échine et continuera l’héroïque combat en réorganisant la résistance contre les usurpateurs. Puissions-nous nous en inspirer pour relancer ce combat pour un Togo prospère et définitivement libéré.

Tchapo sinaa
Un extrait de l’article publié sur le site 27 avril . com le 24 février 2019 avec pour titre : Togo, Le Paradoxe Bassar, Épisode2 : La Résistance du Peuple Face à l’Oppression .