JUSTICE, VÉRITÉ ET SOLIDARITÉ POUR LA LIBÉRATION DU TOGO – SOMMES-NOUS TRÈS LOIN DE LA COUPE AUX LÈVRES ?
Oui, nous sommes très loin de la coupe aux lèvres mais gardons espoir car nous pouvons changer cette donne en faisant notre introspection nous permettant de nous redresser, d’amener notre peuple à se redresser. Ce peuple bouillonne et bourdonne et donne l’impression d’attendre son leader d’exception et un déclencheur exceptionnel de sa révolution, donc espère une situation exceptionnelle. Mais cela risque de ne pas se produire tel que notre peuple rêve.
Le Togo pour se remettre sur ses rails pour sa destinée l’or de l’humanité, aurait besoin d’une révolution. Mais toute révolution a besoin d’ un déclencheur.
Notre peuple est déjà passé à côté de leaders probablement d’exception et il ne passe pas un jour sans que se présente devant ce peuple, de potentiels déclencheurs. Trois exemples de déclencheurs très récents : le pétrolegate, le drame des drones à Natigou et le Covid19gate.
Si le peuple togolais manque tous ces rendez-vous d’exception depuis plusieurs décennies, c’est parce qu’il est devenu lui-même un peuple d’exception, une malheureuse exception. Quel est ce peuple qui ne réagit jamais quand il devrait réagir? Je l’ai déjà dit à maintes reprises et je vais le redire encore une fois de plus dans l’espoir que cela puisse servir d’électrochoc pour que notre peuple que nous aimons tant se réveille de son sommeil et comme le phénix, renaisse de ses cendres.
Ma compréhension est basée sur le résultat d’une longue méditation depuis plusieurs années sur le genre de peuple que nous sommes. Il y a un déficit flagrant de vérité, de justice et de solidarité au Togo. Mais dans la suite de mon propos, je compte vous référer constamment au manque de solidarité. Je crois que c’est là où se trouve notre talon d’Achille, notre gros bobo. En voici quelques illustrations :
Première illustration de notre manque de solidarité: dans la nuit du samedi 9 au dimanche 10 juillet 2022 dans le canton de Natigou commune de Tône 1, une bavure militaire par un tir de drone fauche 7 jeunes et blesse deux autres. Ce drame sembla n’avoir ému que les seuls parents des victimes. Pourtant, un tel malheureux évènement aurait dû nous émouvoir tous, les Togolais, suffisamment assez pour nous amener à demander des comptes au gouvernement. Non, ça n’a pas été le cas : il y a eu juste quelques réactions çà et là qui au moins ont réussi à forcer l’armée a dire la vérité. Preuve de manque de solidarité !
Deuxième illustration de notre manque de solidarité : À la manifestation pacifique du 28 février 2020 appelée par son excellence Mgr Philippe Fanoko Kpodzro, un jeune fut arrêté et brutalisé par les agents des forces de défenses et de sécurité, sous le regard et les cris d’une foule nombreuse de jeunes. Ce jeune appelait à l’aide en disant aux autres jeunes sur les lieux, ce qu’ils doivent faire : « Venez me chercher ! Venez me chercher », disait-il. Mais personne ne leva le petit doigt. Manque de solidarité !
Troisième illustration de notre manque de solidarité : Malgré les appels sur les médias sociaux exhortant les jeunes à sortir pour défendre Mgr Kpodzro et Agbéyomé Kodjo dans la résidence de ce dernier assiégé par des militaires dans la nuit du 22 au 23 avril 2020, la réaction n’a pas été à la hauteur des attentes. La population de Lomé terrorisée et traumatisée par les intimidations et des cas de violences, resta tétanisée. Manque de solidarité !
Nous pourrions multiplier des exemples à remplir un livre !
Comment comprendre notre tel manque flagrant de solidarité ?
Tout peuple a son seuil de tolérance pour l’intolérable. Autrement dit, il peut tolérer certaines situations qui ne lui plaisent pas jusqu’à une certaine limite que nous appellerons seuil de tolérance pour l’intolérable : dépassé ce seuil, le peuple ne le tolère plus. Alors il se lève comme un seul homme pour agir afin que la situation retourne à la normale, à l’ordre. Cette situation intolérable qui met en action un peuple est un déclencheur de changement qui selon son ampleur pourrait constituer une révolution. Personne ne connaît d’avance un déclencheur de changement ou de révolution qui réussit.
La révolution exprime un changement profond des structures politiques d’un pays qui se traduit généralement par une rupture violente de l’ordre politique et social existant. On la reconnaît au mouvement des masses qui la font. On ne planifie pas une révolution. Voici quelques révolutions des plus connues :
– la révolution bolchévique de 1917 ;
– la révolution américaine de 1776 ;
– la révolution française de 1789 ;
– la révolution de la Roumanie plus récente en décembre 1989.
Le résultat d’une révolutrion, c’est la ruptute, la cassure qui intervient dans le temps : rien n’est plus comme avant. Tout est chambardé pour le meilleur ou le pire mais en général c’est pour le meilleur. Lors de la révolution française, le roi Louis 16 fut guillotiné le 21 janvier 1793. Lors de la révolution en Roumanie, le couple Nicolae Ceausescu et Elena Ceausescu fut décapité.
Nous avons dit que toute révolution a besoin d’un déclencheur que personne ne peut connaître à l’avance. On l’analyse seulement quand elle a eu lieu. Je vais vous épargner les déclencheurs de ces révolutions citées plus haut. Pour mon propos, Je vais vous rappeler la « révolution du Jasmin » ou « révolution de la dignité » qui emporta Ben Ali en Tunisie, et son déclencheur. Les manifestations de cette révolution débutèrent le 17 décembre 2010, après l’immolation par le feu du jeune vendeur ambulant de fruits et légumes Mohamed Bouaziz à Sidi Bouzid parce que les autorités avaient confisqué sa marchandise et après avoir subi une agression physique de la part d’une policière, Fadia Hamdi. Ces manifestations continues durèrent quatre semaines, s’étendant à tout le pays, malgré la répression et elles furent amplifiées par une grève générale. Elles provoquèrent la fuite du président Ben Ali vers l’Arabie Saoudite le 14 janvier 2011.
Quel est le seuil de tolérance pour l’intolérable du Togolais ? En tout cas, ce seuil est probablement trop élevé comparé à celui de bien d’autres peuples et nous ne le connaissons malheureusement pas encore. Mais ce seuil existe bel et bien ou alors nous ne sommes pas des humains ! En des termes plus communs, la fibre sociale du togolais a été malmenée, voire détruite par la dictature plus que cinquantenaire. Cette grave carence n’est que l’œuvre de la dictature qui a rendu notre peuple traumatisé et confus, incapable de discerner en temps réel ce qui est bien et ce qui n’est pas bien, incapable de discerner discerner entre le bien et le mal.
Notre peuple traumatisé et confus, ne pouvant plus distinguer rapidement le bien et le mal, n’arrive plus à réagir convenablement de façon opportune, en temps réel, par manque d’une véritable solidarité qui a été détruite par des décennies de dictature pure et dure. C’est bien l’œuvre de la dictature, à force de lavage de cerveau fait à l’aide de menaces, d’intimidations et quand les intimidations et les menaces ne fonctionnent pas, à l’aide d’exactions de tous genres allant jusqu’à l’élimination physique, le tout dans l’injustice, le mensonge et l’impunité totaux. Ce lavage de cerveau par la violence a permis de faire du Togolais un être mentalement affaibli, confus et docile. Son sens de responsabilité et de dépendance mutuelles, d’interdépendance ; de sentiment d’entraide ; d’entraide et secours matériels et immatériels a été sévèrement altéré, sinon détruit.
Un Togolais pourrait rester assis dans sa cour en regardant maltraiter injustement son voisin dans la cour d’à côté et ne lèverait pas le petit doigt pour voler au secours de ce dernier. Pire encore, pour pouvoir se justifier du pourquoi il ne vole pas au secours de son voisin, inconsciemment ou consciemment, le Togolais se trouvera une bonne raison pour prouver que le voisin mérite le sort qui lui arrive ; il lui trouvera des défauts qui justifient pourquoi il mérite ce qui lui arrive. Ça peut aller jusqu’aux extrêmes suivantes : “telle ethnie mérite ce qui lui arrive, mérite le sort que la dictature prédatrice lui réserve à cause de son comportement…” Ou bien : “telle ethnie n’a jamais réagi quand ça nous arrivait à nous, c’est à son tour maintenant. Qu’elle s’arrange aussi toute seule !” Ou bien c’est : “pourquoi voulez-vous faire la distinction entre telle ethnie et telle autre alors qu’elles sont toutes les deux au service du dictateur ?” Ce sont là les quelques manifestations de notre manque de solidarité tout bonnement.
Or la solidarité agit comme un aimant, donnant suffisamment du courage aux poltrons et renforçant celui des braves. C’est cette solidarité qui pousse une personne à courir à la rescousse de son frère victime d’injustice. Notre peuple a trop appris à souffrir en silence, chaque personne toute seule dans son coin, exactement comme l’a voulu la dictature. Les Togolais vivent ensemble mais sans être ensemble. Les Togolais ont bien trop appris à souffrir en silence: trop grande résilience néfaste au Togolais. Chaque Togolais souffre tout seul dans son coin à cause du manque flagrant de solidarité ou suite au manque flagrant de solidarité.
C’est bien ce qu’on peut traduire par « se sentir individuellement désarmé, impuissant » comme le veut la dictature. Les Togolais ne savent plus s’émouvoir ensemble, ou alors ne s’émeuvent pas au moment approprié, leur seuil de tolérance pour l’intolérable n’étant pas encore atteint. Or c’est la vraie saine émotion solidaire qui inspire et pousse à l’action commune qui transporte les montagnes. C’est ainsi que toute situation qui ailleurs provoquerait un lever de boucliers généralisé passe souvent comme une lettre à la poste, sans effet sur le Togolais. En Tunisie un 17 décembre 2010, il avait suffi que le jeune Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant de fruits et légumes à Sidi Bouzid, s’immolât par le feu pour que se déclenche “la révolution de la dignité” qui allait emporter le président de la République de Tunisie, Zine el-Abidine Ben Ali. Le Togo connaît souvent des évènements apparemment plus graves que le cas tunisien. On voit donc que ce qui est déclencheur de révolution dans d’autres contrées n’émeut pas les Togolais.
Nous devons donc œuvrer très fort pour restaurer le seuil raisonnable de tolérance du Togolais pour l’intolérable. Le travail est colossal, mais nous devons le faire et y arriver, car nous n’avons pas d’autres choix.
Dr Isidore Wasungu